Tête-à-tête n°10 : Soyons fous !
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« Soyons fous, oui, mais pourquoi ?
La folie pose la question de la norme. Est qualifié de fou celui qui par ses actions ne nous ressemble pas. Cette dissemblance est généralement source de mépris mais peut également susciter l’admiration. Qu’elle soit douce ou furieuse, la folie s’exprime dans une nécessaire démesure, un excès magnifique. La distorsion qu’elle impose est la marque d’une lucidité tournée tant vers la franche rigolade que vers l’authentique désespoir. Cette folie amuse tout comme elle inquiète car, dans un geste réfléchi ou pulsionnel, le fou peut basculer du côté de l’irrationnel mais aussi inventer une forme de sagesse.
Si pour sa dixième livraison la revue Tête-à-tête a délibérément souhaité esquiver la question de la folie au sens clinique du terme, c’est avant tout pour laisser la parole à des auteurs qui ne sont pas fous mais dont les personnages, œuvres et imaginaires, parce qu’ils sont hors normes, tendent un miroir à peine déformant à ce monde dirigé par des logiques irrationnelles, à l’image des personnages des romans de Maria Pourchet dont les déséquilibres apparents ne sont que de nécessaires mécanismes de survie.
On ne naît pas fou, on le devient, et nous croyons encore que par leur puissance créatrice, les artistes qui se réclament de la folie, qui la représentent ou l’incarnent, ne cessent malgré tout de se mettre en travers des routes pour nous forcer à voir. Ainsi Piotr Pavlenski, trompe-la-mort récidiviste, n’a de cesse de dénoncer les exactions du gouvernement russe, au prix de la persécution et de l’enfermement, traité tantôt comme un criminel, tantôt comme un aliéné. Que dire, aussi, de l’artiste Zhu Yu dont les actions cannibales ont scandalisé mais qui, au moment de révéler au grand public que le fœtus humain qu’il avait consommé était un faux, n’a jamais été cru ? On le préféra fou.
Anachorète des temps modernes, Abraham Poincheval s’enferme pendant plusieurs jours dans un trou creusé dans le sol d’une librairie ou alors décide de couver des œufs, de traverser la France en portant une lourde armure lorsqu’il n’est pas en train de marcher sur les nuages – les merveilleux nuages – au-dessus d’une canopée qui, ailleurs, part déjà en fumée. Ainsi donc la folie est aussi une énergie, un élan, celui que les avant-gardes jetaient à la face du monde, celle dont Albert Serra fait son moteur de création pour produire un cinéma libre, hors format, obscur et irrévérencieux.
Peut-on réellement croire que des lobbies pharmaceutiques encouragent les laboratoires à inventer des maladies pour commercialiser de nouveaux médicaments, comme la bande dessinée Moi, fou d’Antonio Altarriba et Keko le décrit ? Peut-on imaginer que des chercheurs soient davantage occupés par le facteur d’impact élevé de leur revue que par ses contenus ? Au facteur d’impact, préférons alors toujours le facteur Cheval. »
Anna Guilló, Directrice de la rédaction
Sommaire/4e de couverture Tête-à-tête n° 10
« Personne ne sait qui sont les “Pasolinis” d’aujourd’hui »
Entretien avec Albert Serra
Conçu, réalisé et traduit par Montse Sanesteban
« Une mise en scène de la folie, pas celle d’un homme fou »
Entretien avec Zhu Yu
Conçu, réalisé et traduit par Shiyan Li
« La folie est une singularité, pas forcément un dérèglement, dans la vision du monde »
Entretien croisé avec Antonio Altarriba et Keko
Conçu, réalisé et traduit par Mathilde Tremblais
« On me qualifie de fou et on me place en prison comme criminel »
Entretien avec Piotr Pavlenski
Conçu et réalisé par Mathieu Lericq
« Écrire, c’est regarder son vertige en face »
Entretien avec Maria Pourchet
Conçu et réalisé par Christèle Couleau et Oriane Deseilligny
« Il y a toujours des histoires d’ours »
Entretien avec Abraham Poincheval
Conçu et réalisé par Jean Cristofol
ISBN: 979-10-97309-28-2
Date de publication : 2020
Nombre de pages : 124
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