Tête-à-tête n° 12 : « Nous, vivants »
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Faire dévier les voies toutes tracées
Les pensées de l’écologie ont enfin la voix qui porte. Depuis quelques années, c’est l’effervescence. En plus des analyses nourries des spécialistes et d’une littérature très abondante sur le sujet du réchauffement climatique et de ses conséquences systémiques, les questions écologiques gagnent du terrain à tous les niveaux de la société. Est-il besoin de rappeler que, de ce point de vue, le rôle de la culture, de l’art et de l’éducation est essentiel ?
Vous ne trouverez pas de discours alarmistes dans ces pages, nous estimons qu’ils nous envahissent bien assez. Chacun, selon ses conditions, s’évertue de traverser notre époque sans devenir fou, et la tâche est ardue. Puisque nous sommes au « moment critique », celui à partir duquel nous devons faire des choix qui nous engagent intimement et collectivement, sur des terrains et à des échelles variées, nous décidons de ne pas désespérer, encore moins de renoncer. Comment ? En sortant de nos solitudes algorithmiques et en allant puiser cette vitalité que par tous les moyens il nous faut réveiller. En recréant du lien là où il est abîmé. En ne cédant sur aucune lutte. En nous enivrant de chaque geste, chaque ressenti, chaque mouvement à partir desquels il nous sera possible de faire grandir la joie nécessaire à l’action. « Nous, vivants » est un cri, un appel, un vœu, une conviction, un horizon.
Le douzième numéro de la revue Tête-à-tête se fait l’écho de cette notion virale qui, depuis quelques années envahit le paysage culturel : le vivant. Cet objet de pensée, à la croisée d’un grand nombre de disciplines, nous le déclinons au pluriel et lui apposons un pronom. Il s’agit, en effet, d’ouvrir nos champs d’expérience à nos interdépendances, humaines et autres qu’humaines, en nous demandant ce que c’est que faire société dans les ruines du capitalisme. L’écologie nous fait comprendre ce qu’à un moment donné notre civilisation a cessé de considérer comme essentiel : prendre à la Terre sans compter, se concevoir comme une espèce à part, libre de rompre les équilibres naturels à sa guise, est un projet de destruction. Si nous souhaitons donner à l’aventure humaine une chance de se poursuivre en évitant que le milieu terrestre ne devienne totalement invivable à court terme, il est plus qu’urgent de prendre soin de notre destin commun. Or, nous savons, puisque nous le redoutons avec la plus grande ardeur, que cela ne se fera pas sans transformations profondes.
Inventer de nouvelles manières d’habiter la Terre et de faire société nécessite donc de concevoir et d’éprouver notre rapport au vivant autrement. Il faut défricher des pans entiers de nos imaginaires, ouvrir de nouvelles brèches dans nos sensibilités, élaborer de nouvelles cultures terrestres qui ne soient pas d’autres formes de plantations mais de nouveaux modes de vie, plus sobres et plus justes. Partout dans le monde, quantité de collectifs conduisent ces expérimentations, élaborant d’autres façons de produire, renouant avec d’autres espèces, appréhendant d’autres temporalités, s’ouvrant à d’autres réalités. Essayons de donner plus de place à ce qui nous sauve qu’à ce qui nous tue, d’abord en nous-mêmes, puis à travers ce que nous transmettons, et si nous le pouvons, portons-le plus loin. Cette bataille se joue essentiellement sur le terrain du sensible et des idées, dans des espaces situés, sur le temps long et quelle que soit notre place dans la société. Ajoutons à cela que les négociations doivent s’ouvrir à l’ensemble des vivants non-humains.
Les entretiens réunis dans ce volume témoignent de l’engagement d’artistes et d’auteurs qui œuvrent à décloisonner nos imaginaires en ce sens. Le neurobiologiste et philosophe Georges Chapouthier nous emmène sur le terrain de l’éthique animale et du droit en montrant que l’animalité, qui est notre condition, est un continuum au sein duquel nature, culture et technique sont des caractéristiques interespèces. Les artistes Sandra et Gaspard Bébié-Valérian collaborent avec différentes variétés de mycètes et explorent, dans leurs installations protéiformes, les propriétés de transformation et de symbiose du règne des champignons. Le cinéma perspectiviste d’Ariane Michel multiplie les centres du monde en déplaçant notre regard vers des altérités autres qu’humaines. Le cinéaste et documentariste Sylvère Petit œuvre à l’intersection des mondes humains et animaux, renversant les places et les points de vue, pour que naisse une véritable politique du vivant. Philosophe, éditeur, concepteur de sentiers de randonnée périurbains, Baptiste Lanaspeze travaille à promouvoir les pensées de l’écologie pour que des modes d’organisation socio-économiques locaux et mondiaux plus justes puissent voir le jour et se développer. Avec Alain Damasio, la littérature a l’envergure d’un fleuve, indomptable et fécond, qui oppose aux digues qui nous enserrent une vitalité salvatrice et inspirante. Lorsqu’enfin Vincent Macaigne, acteur, auteur, réalisateur et metteur en scène, intitule son adaptation d’Hamlet Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, ce n’est pas pour sombrer dans l’abattement ni la lamentation, mais pour rappeler à chaque présence autour de la scène que prendre le risque de tout donner, donc de tout perdre, c’est rester vivant.
Souhaitons à nos corps collectifs la « qualité d’os » nécessaire pour relever les défis de ce siècle.
Julie Fabre
Rédactrice en chef de ce numéro
Table des matières
Édito
Julie Fabre
« Nous, les animaux humains »
Entretien avec Georges Chapouthier
Conçu et réalisé par Jean-Hugues Barthélémy
« NOUS, artistes, humains, champignons, citoyens du monde »
Entretien avec Sandra et Gaspard Bébié-Valérian
Conçu et réalisé par Gwénaëlle Plédran
« C’est l’intuition de la forme qui m’anime »
Entretien avec Ariane Michel
Conçu et réalisé par Matthieu Duperrex
« À l’endroit où se trouvent des morts, le vivant vibre souvent très fort »
Entretien avec Sylvère Petit
Conçu et réalisé par Vincent Deville
« Être vivant, c’est faire société »
Entretien avec Baptiste Lanaspeze
Conçu et réalisé par Julie Fabre
« Écrire vif »
Entretien avec Alain Damasio
Conçu et réalisé par Christèle Couleau
« L’art doit rester instinctif, ravageur »
Entretien avec Vincent Macaigne
Conçu et réalisé par Isabelle Debyser
Date de publication : octobre 2022
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